Connaissances - La France de 1974 à 1988 : un tournant social, politique et culturel

 
  • L’année 1981 est un tournant (=rupture, qu’elle soit politique, sociale, économique ou culturelle dans l’histoire d’un pays) politique majeur puisqu’elle voit la gauche arriver au pouvoir pour la première fois sous la Vème République, avec l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République.
  • La période 1974-1988 se caractérise par de nombreuses réformes sociales et culturelles, répondant au désir de changement qui s’est exprimé dans la crise de mai 1968. Dès l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, l’État cherche à satisfaire les revendications de femmes et des jeunes.
  • Au cours des décennies 1970 et 1980, la France s’ouvre au changement et les débats de société, facilités par la libéralisation des médias, se multiplient : ils portent notamment sur la liberté sexuelle ou sur l’intégration des immigrés dans la société française.

 

Problématique : Pourquoi les années 1974-1988 sont-elles considérées comme un tournant majeur en France ?

 

 

I. 1974-1988, l’évolution politique de la France

 

A. Le septennat de Giscard d’Estaing

 

  • Candidat de centre-droit élu en 1974, Valéry Giscard d’Estaing incarne le changement : il est le premier Président non gaulliste de la Vème République. Il choisit Jacques Chirac comme Premier ministre au sein de l’Union des démocrates pour la République (UDR), le parti gaulliste, afin d’unir la droite. Il lance de nombreuses réformes : abaissement de la majorité de 21 à 18 ans, divorce par consentement mutuel… Grâce à la télévision, il souhaite donner l’image d’un président dynamique et proche des Français, en s’invitant à déjeuner chez eux.
  • Dans le domaine de l’éducation, le «collège unique », mis en place par la loi Haby, accueille désormais tous les élèves de la sixième à la troisième, sans aucun système de filières, afin d’assurer la démocratisation de l’enseignement secondaire.
  • Mais l’économie française entre en crise après le choc pétrolier de 1973 : le taux de chômage passe de 3% en 1973 à 7% en 1981. En 1976, Chirac démissionne parce qu’il est en désaccord avec Giscard d’Estaing. La majorité se fracture entre l’Union pour la démocratie française (UDF), le parti giscardien, et le Rassemblement pour la République (RPR), le tout nouveau parti créé par Chirac. Le nouveau Premier ministre, Raymond Barre, ancien professeur d’économie, se rend impopulaire par sa politique de rigueur (=politique économique qui cherche à équilibrer le budget et à la limiter l’inflation en bloquant les salaires et en augmentant les impôts). Giscard d’Estaing conserve de justesse une majorité aux législatives de 1978 mais il est battu par le socialiste François Mitterrand aux présidentielles de 1981.

 

B. La gauche au pouvoir (1981-1986)

 

  • L’union de la gauche entre les socialistes, les communistes et les radicaux grâce au Programme commun signé en 1972 permet l’élection de François Mitterrand en mai 1981. Cette élection permet la première alternance politique (=succession à la tête d’un État d’un Président ou d’une majorité parlementaire de tendance politique opposée à la précédente mandature) de la Vème République. Pour la première fois depuis 1947, quatre ministres communistes entrent dans le gouvernement formé par Pierre Mauroy. Pour soutenir le pouvoir d’achat, il met en place une politique de relance (=politique économique qui cherche à relancer l’activité économique en augmentant le pouvoir d’achat et les dépenses de l’État) : le gouvernement augmente le salaire minimum, les allocations familiales et le minimum vieillesse. Le sort des salariés s’améliore avec l’abaissement de la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés et la semaine de 39 heures au lieu de 40 heures. En 1982, une vague de nationalisations (=achat de tout ou partie du capital d’une entreprise par l’État) est décidée. D’autres réformes sont adoptées comme l’abolition de la peine de mort en 1981 par Robert Badinter ou la décentralisation en 1982.
  • En 1983, la politique de relance est abandonnée car elle ne permet pas de sortir de la crise et parce qu’elle creuse le déficit (=situation dans laquelle les dépenses sont supérieures aux recettes) et la dette (=ensemble des sommes que l’État a empruntées et qu’il devra rembourser) de l’État. Le taux de chômage frôle les 8% de la population active. En 1983, une politique de rigueur est annoncée : tenu par ses engagements européens, Mitterrand augmente les impôts et réduit les dépenses publiques avec le soutien de son nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, nommé en 1984. Cette politique provoque le départ des ministres communistes. L’inflation diminue mais les socialistes perdent une partie de leur électorat.

 

C. La première cohabitation (1986-1988)

 

  • Le mécontentement des Français explique la défaite de la gauche aux législatives de 1986. Elles ont lieu à la proportionnelle, ce qui permet l’élection de 35 députés du Front national. Pour la première fois sous la Vème République, le Président de la République doit nommer un Premier ministre issu de l’opposition : Jacques Chirac, issu des rangs du RPR forme un gouvernement. C’est la cohabitation (=situation politique dans laquelle le Président de la République n’est pas de la même tendance politique que le Premier ministre et son Gouvernement). Chirac privatise de nombreuses entreprises pour renflouer les caisses de l’État. Dans la lignée des politiques de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, il met fin à l’impôt sur les grandes fortunes et supprime l’autorisation administrative préalable aux licenciements.
  • Ne pouvant pas s’opposer aux réformes de la droite, François Mitterrand se replie sur son domaine réservé (=lecture de la Constitution de 1958 selon laquelle la politique étrangère et la défense relèvent du Président de la République). Cependant, il préside toujours le Conseil des Ministres, il signe les décrets et les ordonnances et peut donc les refuser. François Mitterrand prend publiquement et régulièrement position contre son Premier ministre. À la veille de l’élection présidentielle de 1988, il impute les difficultés des Français à Jacques Chirac. François Mitterrand est réélu avec 54% contre Jacques Chirac qui n’obtient que 46% des voix.

 

II. Les transformations de la société française

 

A. Vers une émancipation des femmes

 

  • L’émancipation des femmes se produit dans la société. Dans la lignée de mai 1968, un féminisme (=mouvement visant à abolir les inégalités dont les femmes sont victimes et à établir l’égalité complète entre les femmes et les hommes) radical se développe en France. Il dénonce la domination masculine dans une « société patriarcale » et affirme le droit des femmes à disposer librement de leur corps. En 1971, le Mouvement de libération des femmes (MLF) publie le « Manifeste des 343 », rédigé par Simone de Beauvoir, où des femmes avouent avoir eu recours à l’avortement. Simone Veil, Ministre de la Santé, fait voter deux lois au Parlement : en 1974, la pilule contraceptive est remboursée par la Sécurité sociale et en 1975, la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
  • L’émancipation se produit aussi au travail. Si la part des femmes exerçant une activité professionnelle progresse (de 53% en 1975 à 63% en 1982), les salaires des femmes restent inférieurs à ceux des hommes à qualification égale. Nommée Ministre des Droits des femmes, Yvette Roudy fait voter en 1983 une « loi sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ». Mais ses résultats sont décevants : l’écart moyen entre les salaires masculins et féminins reste de 28,2% en 1989 et les femmes sont minoritaires dans les postes dirigeants.

 

B. Une plus grande place pour les jeunes

 

  • Les jeunes sont de plus en plus nombreux à rester dans le système scolaire au-delà de l’âge obligatoire fixé à 16 ans. L’économie a besoin de salariés qualifiés, notamment dans les emplois tertiaires et la société demande la démocratisation de l’enseignement. En 1975, le Ministre de l’Éducation nationale René Haby instaure le collège unique, en supprimant la distinction entre les filières générales et techniques. La mixité (=mélange des garçons et des filles au sein d’une même classe ou d’un même établissement scolaire) est obligatoire. Avec cette massification scolaire (=accès en masse au collège puis au lycée), de plus en plus de jeunes obtiennent leur baccalauréat (20% d’une génération en 1970, 26% en 1980) et accèdent à l’enseignement supérieur (700 000 étudiants en 1970 contre 1,4 million d’étudiants en 1990).
  • L’allongement des études et l’entrée plus tardive dans la vie active contribuent à faire des jeunes une catégorie sociale mieux définie et plus entendue. C’est d’autant plus vrai que Giscard d’Estaing a décidé l’abaissement de la majorité à 18 ans en 1974 : les jeunes peuvent voter dès 18 ans, se marier sans l’accord de leur parents et résider où ils veulent. Mais ils résident encore chez leurs parents et trouvent souvent la tutelle familiale pesante. En 1986, Chirac veut imposer une sélection à l’entrée à l’université et une hausse des frais d’inscription mais le projet est retiré face à la mobilisation de la jeunesse. Une « culture jeune » s’affirme à travers la mode et la musique : des émissions comme le Top 50 sur Canal+ en sont l’incarnation.

 

C. Une plus grande diversité dans la société

 

  • À la fin des années 1970, les immigrés sont 3,5 millions de personnes (6,5% de la population). En 1974, l’État décide la suspension de l’immigration (flux depuis le pays d’origine vers un autre pays). En 1976, le regroupement familial (=mesure permettant à un étranger en situation légale d’être rejoint par sa famille proche) est la seule immigration légale. L’arrivée de la gauche au pouvoir redonne espoir aux immigrés : près de 132 000 clandestins sont régularisés. Dans les années 1980, avec la crise et le chômage, la percée électorale du Front national témoigne du rejet des immigrés par une partie de la population. En 1983, la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » est organisée dans un climat de xénophobie (peur et rejet des étrangers).
  • Au même moment, les droits LGBT (=acronyme utilisé pour désigner les lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) s’affirment. En 1981, la première « Marche nationale pour les droits et les libertés des homosexuels et des lesbiennes » est organisée à Paris. En 1982, Mitterrand met fin à la différence de majorité sexuelle (15 ans pour les hétérosexuels et 21 ans pour les homosexuels). Beaucoup d’homosexuels vivent cachés, exclus par leur famille mais l’épidémie du SIDA (stade terminal de l’infection à VIH, qui détruit les cellules du système immunitaire et qui cause la mort) qui apparaît en 1981, les rend plus visibles en raison de leur couverture médiatique. Durant les « années SIDA », des associations comme Aides ou Act Up militent pour une meilleure prévention contre le VIH qui touche toutes les populations.

 

III. Un nouveau paysage culturel

 

A. Les transformations du paysage audiovisuel

 

  • Au début des années 1970, le paysage culturel de la France est profondément différent de ce qu’il était encore vingt ans auparavant. Cette transformation est le résultat d’une ouverture sur le monde, rendue possible notamment par la généralisation de la télévision. Le pourcentage de foyers équipés d’un poste de télévision atteint 79,1 % au début de l’année 1974. Ce sont désormais des sons et des images du monde entier, en couleur à partir de 1967, qui parviennent dans les ménages français, quasiment en temps réel. Les programmes sont, par ailleurs, plus variés qu’auparavant, avec la création d’une deuxième puis d’une troisième chaîne, en 1964 et en 1972.
  • Des critiques récurrentes pointent cependant le manque d’indépendance de l’audiovisuel à l’égard du pouvoir politique. L’ORTF, créée en 1964, concentre les critiques dans la mesure où il dispose du monopole de la radio et de la télévision en France, même si des radios périphériques peuvent émettre depuis l’étranger. En réponse à ces critiques, Valéry Giscard d’Estaing demande la dissolution de cette structure en 1974. Des émissions au ton plus libre, comme Le Petit Rapporteur, font leur apparition, mais les journaux télévisés restent étroitement contrôlés par le pouvoir.
  • Une nouvelle étape vers le pluralisme est franchie avec l’alternance, qui est synonyme de libéralisation des médias. D’abord, les radios libres, qui émettaient clandestinement dans la décennie précédente sont autorisées. De nouvelles stations font leur apparition, comme la Nouvelle Radio Jeune (NRJ en 1983) ou FunRadio (1986). Ensuite, le pouvoir socialiste autorise la création d’une quatrième chaîne de télévision, privée et payante, sous le nom de Canal + en 1984, puis d’une cinquième, privée et gratuite, baptisée La Cinq, en 1986. Leur ton plus moderne bouleverse la télévision française. Enfin, en 1987, le gouvernement Chirac privatise TF1, qui devient la propriété du groupe Bouygues.

 

B. Une culture massifiée et mondialisée

 

  • La production culturelle française entre dans l’ère des médias de masse pendant les Trente Glorieuses et plus encore pendant la période 1974-1988. Le cinéma français, soutenu par des structures publiques comme le Centre national du cinéma (CNC), devient une véritable industrie qui cultive son propre star-system autour des acteurs Jean-Paul Belmondo, Gérard Depardieu ou encore Catherine Deneuve. Le cinéma et la télévision permettent l’émergence de nouveaux talents comiques, comme Coluche, la troupe du Splendid, ou encore Les Nuls.
  • La France est également de plus en plus ouverte aux influences internationales, notamment à partir des années 1980. Au cinéma, les films américains rencontrent un succès grandissant, comme E.T., l’extra-terrestre, du réalisateur américain Steven Spielberg, qui dépasse les 9 millions d’entrées en 1982. Dans la chanson, la pop américaine rencontre le même succès, comme le montrent les 100 000 spectateurs qui assistent au concert de Madonna organisé en 1987 au parc de Sceaux, près de Paris. À la télévision, le Club Dorothée, diffusé à partir de 1987, fait découvrir aux plus jeunes des séries animées japonaises comme Goldorak.
  • La France conserve néanmoins une forme d’exception culturelle et des productions plus exigeantes ou plus engagées continuent à rencontrer leur public. L’émission Apostrophes, diffusée à partir de 1975, permet l’expression d’écrivains et d’intellectuels à la télévision, à l’exemple du philosophe Michel Foucault. Le cinéma d’auteur continue d’être bien représenté : les films d’Éric Rohmer ou encore ceux d’Agnès Varda rencontrent des succès auprès de la critique. Quant à François Truffaut, venu de la Nouvelle Vague des années 1960, il rencontre des succès populaires à la fin des années 1970. Dans la chanson, Yves Simon, Renaud, ou Alain Souchon imposent leur style personnel et parfois engagé.

 

C. La recherche de la démocratisation culturelle

 

  • Les gouvernements successifs de la Vème République entendent poursuivre l’œuvre de démocratisation culturelle initiée par André Malraux sous la présidence de Charles de Gaulle. C’est le cas déjà sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, qui décide de réaménager l’ancienne gare d’Orsay, au centre de Paris, pour en faire un musée consacré à l’art du XIXème siècle, et notamment à la peinture impressionniste. Mais le musée n’est inauguré qu’en 1986, soit bien après le départ de Valéry Giscard d’Estaing de l’Élysée.
  • Mais c’est surtout à partir de 1981 que la démocratisation culturelle connaît un nouveau souffle avec la nomination de Jack Lang, issu du milieu de la culture et du théâtre, au poste de ministre de la Culture. Avec l’appui de François Mitterrand, qui se présente comme un président protecteur des arts et de la culture, il double le budget de la Culture.
  • Les grands projets architecturaux et culturels des années 1980 confirment la volonté de François Mitterrand d’inscrire sa présidence dans l’histoire. Le projet du Grand Louvre, confié à l’architecte Ieoh Ming Pei, est lancé dès 1981, celui de l’Opéra Bastille en 1982, et celui de très Grande Bibliothèque en 1988. À l’impératif de démocratisation culturelle s’ajoute celui de la démocratie culturelle, qui reconnaît la diversité des cultures et des voies d’accès à la culture (reconnaissance des pratiques amateur, des cultures régionales et minoritaires, de la culture populaire).

Date de dernière mise à jour : 01/05/2023

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